Il y a du nouveau dans le maloya réunionnais de Danyèl Waro. Son blues ternaire, qui s'exalte et chaloupe au son des caïambes (de grands hochets plats), s'ouvre aux cordes, via la takamba, luth ouest-africain quelque part entre le banjo et le guembri des Gnaouas. L'instrument était arrivé dans l'île au milieu des années 80 avec le claviériste Loy Ehrlich (Hadouk Trio), tout juste revenu d'un voyage au Maroc. Il fut adopté par le surdoué Alain Péters, prématurément disparu à 43 ans, en 1995. Le titre Alin lui est dédié, qui ouvre le second CD de ce double album sur les syncopes âpres du gratteur Damyin Mandrin, 25 ans, conférant aux complaintes hallucinées de Danyèl Waro un peps inédit. Deux autres complices du même âge - Sami Waro, fils de, et Vinsan Philéas -, aux percussions tout-terrain et aux arrangements à plusieurs voix, contribuent à tracer de nouvelles voies.
Enregistré dans la case où Danyel Waro a passé son enfance, à Trwamar, ce Aou amwin ("de toi à moi") contient quelques joyaux. Un déchirant hymne à Mandela audacieusement revivifié au contact du rap sud-africain de Tumi Molekane (Tumi & The Volume). Dans un autre genre, plus proche du récit et des ambiances de veillée ou de rituel, Sapèl la mizér, où se répondent un chant pimpant et une craquante voix un peu lasse, un peu enrouée. Et aussi Voulvoul, dont le spleen est transcendé par des cordes aux accents californiens, façon Ry Cooder. Ces jeux de contraste très réussis, entre univers introspectifs et escapades plus extraverties, n'irriguent, hélas, pas l'ensemble de l'album, quoique Danyèl Waro soit, semble-t-il, décidé à s'y engouffrer plus nettement à l'avenir. En attendant, une écoute sélective est donc conseillée : de préférence, les deux derniers titres du premier CD et les cinq premiers du second.
(Source: Eliane Azoulay /Telerama n° 3166 - 18 septembre 2010)